La Mécanique des corps (Attends-moi)

Écriture en cours

 

Résumé

À quarante ans, Rachel Kahn se retrouve seule, son mari a disparu en mer. Alors qu’elle reprend pied peu à peu, le souvenir de son ancien amant Vito Hogan refait surface. Sa rencontre avec Harry, un vieil homme solitaire, va la convaincre de partir à la recherche de Vito.

 

Première partie : HARRY

Chapitre 1

 

         Le chien attendait assis devant la porte de la petite maison en pierre. Harry prenait son temps. Il termina son bol de thé au lait, ramassa les miettes éparpillées sur la table du petit déjeuner et déposa sa vaisselle sale dans l’évier tout en jetant un œil à travers les carreaux de la cuisine. Il essaya de se rappeler depuis quand le chien avait instauré ce rituel. Six mois, peut-être sept. Il décrocha sa veste en toile suspendue au porte-manteau de l’entrée et sortit. Le chien se redressa, museau tendu vers l’homme. Harry fit claquer sa langue. Allons-y mon ami.

      L'homme et le chien marchaient côte à côte en direction du sentier. Lorsqu’ils atteignirent le phare, Harry s’assit sur le banc et l'animal se coucha à ses pieds. De là, le vieil homme pouvait observer les allées et venues des bateaux. À cette saison, l’activité portuaire était calme, et il se contentait de fixer l’horizon. Ils restèrent là jusqu’à ce que l’ombre du phare disparaisse de la surface de l’eau.

     À midi, Harry fit le chemin en sens inverse, le chien toujours sur ses talons. Quand il fut devant la porte de sa maison, le chien pointa son museau vers lui. À demain lui dit Harry. Le chien partit à petits pas à travers champs. Harry se débarrassa de ses souliers et de sa veste. Il sortit du réfrigérateur un morceau de fromage et le reste d’une salade. Il déjeuna seul, frugalement et en silence, puis se prépara une tasse de café réchauffé qu’il but dans la cour, assis sur le banc en pierre, face à la mer.

 

 

*

 

            Rachel se leva tôt, s’habilla avec ce qui lui tomba sous la main, avala d’une traite un café serré et descendit au fond du jardin. Lorsqu’elle ouvrit le portillon, son regard s’arrêta sur l’île dont l’ombre se détachait à l’horizon. Elle lui tourna le dos et longea la falaise en direction du port. La mer se fracassait par vagues sur les rochers en contrebas. Quand le chemin se fit plus étroit, elle allongea sa foulée pour esquiver les gerbes d’écume cinglantes. Les embruns volatils lui chatouillèrent le visage et ses bras se couvrirent de chair de poule. Elle regardait droit devant elle, marchant à bonne allure et se concentrait sur la chaleur timide qui irradiait peu à peu son corps, sur la moiteur de sa peau, sur ses cheveux voletant au-dessus de ses épaules.

        Au pied du phare, Rachel bifurqua à droite et rejoignit la route goudronnée. Elle longea le quai. Rien ne bougeait dans le port, le bistrot n’avait pas encore ouvert ses volets. Elle dépassa la première cale, la deuxième puis enfin la troisième et elle eut envie de courir.

     Elle s’arrêta à l’entrée du pont les joues et les poumons en feu et machinalement, se mit à compter les bateaux au mouillage. Elle s’arrêta sur celui de Paul, un voilier bleu vif de neuf mètres. Amarré à côté, le sien, un petit hors-bord en bois à la coque effilée. Un petit bijou que Paul lui avait offert. Elle tourna les talons et traversa le pont en courant à petites foulées jusqu’aux noisetiers sauvages. Elle franchit la passerelle en bois et retrouva le sentier terreux et caillouteux. Elle évita une branche basse qui barrait le passage et longea le bras de mer qui venait mourir au fond du port, jusqu’à ce qu’il ne devienne plus qu’un maigre filet d’eau. À cet endroit la terre était détrempée et les iris sauvages envahissaient la berge boueuse. Elle grimpa sur les pierres plates qui permettaient de rejoindre la rive. De l’autre côté, le sentier était une piste large et crayeuse protégée par une voûte d’arbres majestueux. Elle le remonta, puis ramassa une poignée de graviers blancs, descendit sur la berge et s’assit sur la souche du vieux pin. Elle jeta un caillou dans l’eau et la surface lisse ondula. Elle attendit que les cercles disparaissent pour en jeter un autre. Elle sentait la douceur du soleil à travers ses vêtements, il caressait ses jambes, son ventre, ses seins, ses épaules, ses bras. Le bruit de l’eau pénétrée la fit sursauter. Un goéland s’était posé à une distance prudente, mais suffisamment près pour qu’elle puisse distinguer son iris jaune. Il se laissa ballotter par le remous quelques minutes, l’œil fixé sur elle, puis s’envola en raillant. Rachel lança ce qui lui restait de cailloux et la pluie de gravier fouetta la surface l’eau.

     Rachel remonta le chemin goudronné en direction de la villa puis emprunta l’allée herbeuse et escalada le portail électrique. Elle entra dans la maison par la porte de derrière, monta l’escalier qui rejoignait le salon, ôta ses chaussures et se déshabilla entièrement en jetant ses vêtements sur le sol. Sous le jet brûlant de la douche, l'image de Vita s'invita dans ses pensées. Elle fredonna cette chanson qu’il chantait sans cesse et qui résonnait comme un coup de feu.

        My baby shut me down.

 

Créez votre propre site internet avec Webador