Ateliers Lecture de bandes-dessinées à la Maison d'arrêt de St Brieuc - mai/juin 2022

          Ces ateliers ont été menés dans le cadre du Festival de bande-dessinée Bulles à croquer qui se tient chaque premier week-end de juillet sur le port du Légué de St Brieuc. L'issue est que chaque détenu vote pour un album de son choix afin de décerné un prix à un ouvrage. Mais ici, les ateliers sont avant-tout un prétexte pour la rencontre, la lecture, l'espace de parole où les livres jouent un rôle de médiateur, de révélateur. Ce sont des moments forts, humains, dont on ne sort pas sortie indemne.

 

Prison, 2e rencontre

          J'ai passé la 1ère porte puis la 2e puis la 3 et enfin la 4e.

Derrière le mur, nous avons parlé de bande dessinée, ça c'est sûr, et puis il y a eu des digressions. Nous avons parlé d'histoire, d'humour, de vécu. Monsieur X avait presque tout lu et besoin de parler de ces histoires, celles qu'il aime. Monsieur Y a parlé aussi, qu'il aimerait bien être dehors, qu'il n'y a pas assez de lumière dans une cellule, heureusement qu'il a des lunettes. Monsieur J a rejoint le groupe et avait envie de prendre tous les livres dès que les autres en parlaient. Monsieur A somnolait puis quand Madame J lui a demandé ce qu'il en pensait, il a expliqué, décortiqué, analysé. Pour parler, on a parlé. Ça n'a pas arrêté. Certains se coupaient la parole, certains parlaient plus fort pour se faire entendre, certains parlaient par nécessité de dire. J'ai écouté, j'ai répondu aux questions, j'ai raconté quand on m'a demandé. Puis l'heure est arrivée. On s'est souri, on s'est dit merci vraiment merci. J'ai passé la 4e porte puis la 3e puis la 2e et enfin la 1ère. Entre temps, le soleil était sorti. Je me suis dit que c'était un symbole à la con et pourtant, ça m'a émue parce que de l'autre côté du mur, il y avait monsieur X, monsieur Y, monsieur J et monsieur A. que je venais juste de quitter. J'étais tellement émue que je me suis trompée de route et je me suis retrouvée au milieu de la forêt. Je n'ai pas regretté tellement c'était beau. Je me suis dit décidément, les livres m'emmènent sur de sacrés chemins.

 

Prison, le dernier jour

          Ce jour-là, il y a monsieur F, monsieur P et Monsieur C aux côtés de monsieur X et monsieur Y. Monsieur A est passé en coup de vent, c'était un jour sans. Comme pour monsieur F d'ailleurs mais lui, il est là parce que c'est mieux que dans une cellule à trois, parce qu'en ce moment, ça entre et ça s'entasse et monsieur F aimerait bien que l'on pousse les murs. Ce n'est pas possible, bien sûr ce n'est pas possible. Alors on parle vite pour se changer les idées, on parle des bandes dessinées qu'on a lues, qu'on a aimées un peu, beaucoup, pas du tout. Monsieur C veut des couleurs et des mots. Quand c'est trop sombre, il ne peut pas. Quand c'est trop silencieux, il ne peut pas. Il veut beaucoup de mots, plus il y en a, plus il aime. D'ailleurs, des mots il y en a beaucoup aujourd'hui. Plus encore que la dernière fois. Monsieur X sourit. Même s'il est fatigué, même si monsieur F s'est assoupi les yeux ouverts, parce que monsieur X, parler des livres qu'il a lus, il aime ça, même s'il faut répéter pour ceux qui n'ont pas écouté, même si monsieur P n'est pas content parce que lui, il veut découvrir l'histoire par lui-même. D'un livre à l'autre, les ponts se font et d'autres encore qui font que j'apprends
Que monsieur C a fait Djibouti
Que monsieur P a fait le Liban
Que monsieur X a fait l'ex-Yougoslavie
Ce n'était pas des vacances, oh non.
Et puis vient la fin de ce temps, il y a du mouvement. C'est la dernière fois que l'on se voit alors on traîne des pieds, on continue à discuter devant l'entrée. On se souhaite bonne chance. Monsieur C est le dernier. Il a des mots à faire sortir puisque lui ne peut pas encore. Alors il me les confie. "Il faut leur dire de l'autre côté que nous ne sommes pas des monstres."