Bodique, Morticia, et les autres

 

Résumé

      Bodique, Morticia, Alain, Nol, Mélusine, le Petit et le Grand Geoffroy se rencontrent en dernière année de fac. Bien que les projets professionnels de certains semblent encore un peu flottants, ils ont intégré le Master Médias Jeunesse dans le but d’exercer un métier en lien avec un jeune public. Au sein de la promotion, les sept étudiants font scission. Leur point commun : ils sont tous un peu «à côté de la plaque», hors-normes ou fantasques. Le groupe organise sa vie autour de Bodique, maniaque chronique et groupie d’un groupe de pop appelé Les Sucettes Fluo, et Morticia, gothique dépressive narcoleptique.

 

 

 

1 - La rentrée

 

            Huit heures du matin. Des étudiants font le pied de grue devant la salle H33 de la faculté de Lettres. Ils vont intégrer la nouvelle promotion du Master Médias Jeunesse, une formation destinée à ceux qui souhaitent travailler avec un jeune public. Ils sont une quinzaine et ils viennent d’horizons très différents. À voir comment ils trépignent, on sent qu’ils sont tous très motivés par cette dernière année de fac qui les conduira vers leur vie professionnelle. Il faut dire aussi qu’il fait plutôt froid dans ce couloir plein de courants d’air.

 

         La fille engoncée dans la veste jaune-canari en poils synthétiques qui sort des toilettes et qui arbore dans sa chevelure orange une magnifique collection de barrettes en plastique, c’est Bodique. Elle rejoint les autres étudiants agglutinés dans le couloir et regarde sa montre : huit heures deux. La fille toute de noir vêtue qui semble dormir debout contre le mur du couloir, elle, c’est Morticia. Elle chausse ses lunettes de soleil parce que le jaune canari, ça lui fait mal aux yeux. Bodique lui jette un regard de biais : certainement une gothique dépressive. Elle consulte à nouveau sa montre : huit heures trois. Elle fait la moue. Elle ne manquera pas de faire remarquer à la prof qu’elle est en retard. Ah ben, justement la voilà.

- Bonjour ! claironne la voix fleurie de Madame Picolo

La professeure invite les étudiants agglutinés dans le couloir à entrer dans la petite salle H33.

- C’est pas trop tôt ! lance Bodique.

Sur ce, elle pousse tout le monde pour entrer la première.

 

       Bodique s’installe au milieu de la rangée du milieu. Elle déballe ses affaires : un calepin, un stylo feutre noir, une thermos de thé, un mug en forme de vache, une boîte en plastique remplie de biscuits et une autre pleine de cubes de fromage. La fille blonde aux cheveux raides qui s’assied à côté d’elle l’observe bouche bée. Bodique un poil grognon à cause du retard de la prof, tente tout de même une prise de contact amicale en lui tendant du bout des doigts un morceau de fromage. La fille tord le nez, et Bodique la traite de coincée en haussant les épaules :

      - C’est bien la peine de faire des efforts…

      Morticia entre la dernière. Comme elle s’est assoupie dans le couloir, elle n’a pas vu la prof arriver. Elle s’installe à la seule place disponible, au premier rang, à la table collée au bureau de Madame Picolo. Elle sort une quiche Lorraine de son sac pendant que la prof lance les hostilités.

      - Chers étudiants du Master Médias Jeunesse, je suis ravie de vous accueillir pour ce premier jour. Pour commencer, je vous demanderai de vous présenter en donnant votre nom et les centres d’intérêt qui vous ont conduits à suivre cette formation. Vous, commencez !

      Le doigt de Madame Picolo pointe un jeune homme de petite taille aux cheveux gominés. Il porte une veste de blazer en velours bleu. Il s’agite sur sa chaise en s’éclaircissant la voix quand il comprend que c’est à lui de parler.

     - Hello, hello ! Je m’appelle le Petit Geoffroy. Je suis homosexuel et royaliste, je tiens à le préciser car je n’ai rien à cacher. J’adore l’art et mon objectif professionnel est d’intégrer l’équipe des guides du Louvres ou celle de Versailles.

 

       Madame Picolo interrompt le Petit Geoffroy en dirigeant son doigt vers un autre étudiant. Il porte aussi une veste de blazer en velours bleu mais lui, il est vraiment très grand. D’ailleurs…

       - Moi, c’est le Grand Geoffroy. Je suis quelqu’un d’ambitieux. Mon objectif : être embauché dans une entreprise qui donne à ses employés un certain nombre d’avantages sociaux. Il me semble que cela participe au bien-être et à la motivation des employés.

       Et ainsi de suite. Il y a Mélusine qui veut œuvrer pour la paix dans le monde, pour les enfants, mais qui ne tient pas à en avoir parce qu’elle ne veut pas laisser de trace de son passage sur terre ; Alain qui aime la gastronomie et qui aimerait créer des kits pédagogiques pour sensibiliser les enfants à la dégustation du vin ; Nol qui a fait une thèse sur Peter Pan et qui compte créer une start-up qui portera son nom parce que la communication, c’est avant tout un message clair pour une cible précise.

        Lorsqu’arrive son tour, Morticia est en train de mordre dans une quiche. Elle est portée par un enthousiasme intériorisé que Madame Picolo interrompt de sa voix fleurie.

      - Vous avez perdu un morceau de quiche.

      - Ah oui, tiens…

Morticia engloutit ce qui est tombé et poursuit.

      - Je travaille dans un bar alternatif. Je veux mettre en place des animations pour que les enfants s’ouvrent au monde de la nuit.

       Mais Morticia ne peut pas en dire plus parce qu’elle a la bouche pleine et une diction très lente et qu’au milieu de la salle, Bodique trépigne et lève la main pour avoir la parole. Madame Picolo qui était en train de s’endormir saute sur l’occasion :

     - Allez-y Mademoiselle.

      Alors Bodique explique en parlant très vite. Son truc, c’est la traduction littéraire, elle s’entraîne sur des post-its, parce qu’elle boit du thé et qu’elle doit souvent aller aux toilettes, ce qui l’empêche de se concentrer très longtemps. D’ailleurs, là, elle doit y aller, aux toilettes, et c’est pour ça qu’elle a levé le doigt, et elle est très pressée. Sur ce, elle se rue dans le couloir tout en déboutonnant son pantalon. Madame Picolo, un poil décontenancée, reprend rapidement ses esprits. Son doigt pointe un autre étudiant. Pendant que les présentations se poursuivent, le Petit et le Grand Geoffroy entament une discussion philosophique sur les avantages sociaux dans le monde de l’art, Alain, Nol Mélusine s’échangent leur numéro de téléphone et des adresses de restaurants et Morticia s'endort sur son reste de quiche.

 

     À la fin de la journée, le bilan est plutôt positif. Le Petit et le Grand Geoffroy se sont trouvés beaucoup de points communs, Alain a invité Mélusine et Nol au restaurant, Bodique est moins grognon parce que la fille aux cheveux raides a changé de place et Morticia est reposée. Seule la voix fleurie de Madame Picolo s’est un peu fanée.

Créez votre propre site internet avec Webador